Vos données après la lumière


Article du journal Le Temps du : 15 août 2022
Le rêve de postérité qui accompagne les humains se conjugue aujourd’hui avec les possibilités technologiques pour redessiner les possibilités sinon de devenir numériquement immortel, en tout cas de choisir l’empreinte qu’on laisse, écrit Ralph Rimet, de la plateforme Tooyoo.ch
Peut-on mettre la mort en données? De tout temps, le désir de postérité a été présent dans l’imaginaire des hommes, de même que le besoin de perpétuer le souvenir de nos chers défunts après la mort. Au fil des siècles, la technologie et les innovations ont accompagné les souhaits des mortels que nous sommes dans la quête de la mémoire figée de l’après. C’est d’ailleurs au début de l’époque victorienne, et aux prémices de la photographie, que le daguerréotype voit le jour en Europe et aux Etats-Unis. Le daguerréotype est un procédé chimique qui a permis pour la première fois d’enregistrer et d’afficher, de manière exploitable, une image permanente sans négatif sur une surface d’argent pur et polie. Il est donc devenu le premier procédé photographique utilisé commercialement. Il a inspiré les familles bourgeoises de cette époque et a créé une tendance qui consistait à prendre une photographie post-mortem du défunt dans une mise en scène joyeuse ou naturelle au sein du foyer. Le procédé fut poussé jusqu’à créer des tuteurs en bois pour maintenir le corps debout, le faisant poser avec ses proches, et ce afin d’obtenir des clichés sur lesquels ce dernier semblait encore en vie. A cette époque, la mort frappait les familles plus régulièrement et les défunts restaient sous le toit familial plusieurs jours d’affilée. La photographie était un luxe que seule l’élite pouvait se permettre. C’était donc devenu une façon de perpétuer le souvenir des êtres chers et ainsi de construire cette fameuse postérité.

L’impact des données sur l’après

En 2022, la mort existe toujours et les innovations technologiques l’accompagnent différemment. Elle reste cependant un sujet tabou dans nos sociétés, malgré de nouveaux rites et de nouveaux procédés. Pourtant, l’impact de la mort dans un monde fortement digitalisé ouvre un nouveau spectre de questionnements sur nos usages et nos nouveaux besoins. Le rêve de postérité demeure et les manières d’utiliser la technologie pour agir sur ce souvenir deviennent tangibles. Quand mon corps se meurt restent les traces de mon passage sur cette terre. Qu’elles soient physiques ou, depuis quelques décennies maintenant, numériques. Désormais, la mort nous survit dans le numérique. La mise en données du monde nous oblige indubitablement à considérer notre finitude au sens numérique des choses. A l’image des échanges épistolaires enflammés ou des secrets partagés par le biais d’une missive à nos alliés du Moyen Age, aujourd’hui, nos communications, nos prises de position, nos coups de gueule et nos comportements en cliquant sur le bouton «j’aime» sont devenus simples à partager, et autant de témoins révélateurs sur notre façon d’appréhender le monde, notre manière de le penser et de l’apprécier. Nous devons donc assumer nos positions et pouvoir y faire face dans le monde d’aujourd’hui, mais également dans le monde que nous laisserons derrière nous. A l’image de la polémique liée à la statue de David de Pury à Neuchâtel, dont l’histoire liée à l’esclavagisme a fait polémique, une chose acceptée dans une époque le sera moins ou plus du tout dans une autre. Comment notre mémoire survivra-t-elle à nos descendants dans de tels contextes? Puisque ces traces nous survivront, il faut donc envisager nos combats et nos idéaux sous un angle plus large en toute conscience. Une sorte de garde-fou des valeurs au-delà de la vie terrestre.

Que va-t-il donc rester de moi? Comment mes proches accéderont-ils à mes données? A qui appartiendront-elles? Et immédiatement le débat se porte sur un plan juridique et l’on traite souvent ces questions sous l’aspect du droit et de la protection des données comme on aime tant le faire dans notre société. On oublie néanmoins souvent les aspects immuables du souvenir. Notre besoin insatiable de garder ou créer des traces, ou de vouloir les faire disparaître. En cela, les données sont un immense puits d’opportunités et de menaces pour lequel l’homme trouve constamment de nouveaux usages. Enregistrer des messages vidéo post-mortem adressés à vos proches pour exprimer ce que vous n’avez jamais osé dire ou ce que vous souhaiteriez leur dire. Inspirer vos descendants dans un récit post-mortem, ou plus simplement organiser les informations nécessaires à traiter administrativement pour l’ensemble de vos données et simplifier la gestion de «l’après vous» pour vos proches. Exister après la mort grâce à l’intelligence artificielle, celle qui recrée votre personnalité, votre esprit, sur la base de vos données et qui offre la possibilité de communiquer avec «le vous disparu». Et peut-être même bientôt votre âme…

Nos données sont immortelles

A l’image du livre qui représente une trace écrite de l’Histoire, ou du daguerréotype qui a créé des images qui perdurent dans le temps, nos données numériques ne représentent au final qu’une évolution supplémentaire dans la longue épopée technologique de notre monde. Ainsi, la mort sera mise en données, de la même façon que nos usages en seront impactés par les innovations futures. Alors faut-il vraiment s’en inquiéter? A l’instar des grands hommes qui survécurent grâce au récit d’une vie, et aux mythes narrés dans les livres d’histoire, nos données offrent aujourd’hui la possibilité à tout un chacun de laisser sa propre empreinte, d’accéder aux traces de la vie de chaque citoyen indépendamment de son statut social, de sa réussite ou de son influence. Une mise à plat qui offre une source gigantesque de preuves et d’indices permettant de mieux appréhender l’histoire humaine. Notre finitude en deviendrait alors presque une manière de nous assurer une existence au-delà de la lumière.

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Ralph Rimet, CEO de la plateforme tooyoo.ch.